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     Nous retrouvons, dans ce livre qui est la suite immédiate de Benoni, l'étrange et pittoresque personnage de parvenu au grand coeur qu'est Benoni Hartvigsen, devenu le riche B. Hartwich. En lui se prolonge l'un des thèmes majeurs du diptyque : cette exécration de l'argent, né de la prétendue civilisation urbaine et qui tue lentement les antiques valeurs humaines de la culture rurale. Nous suivons également les errements des mêmes personnages principaux : Mack, le fier seigneur, incapable de dominer ses appétits libidineux et la douce, la bonne Rosa avec ses angoisses d'amour.
      Cependant, l'optique a changé avec l'irruption de deux nouveaux héros : le rédacteur du roman, l'étudiant Parelius, et la « baronne », la fille de Mack, fantasque, bizarre et volontiers machiavélique dans les égarements de son coeur volcanique. Elle vit dans la hantise du souvenir du lieutenant Glahn, le beau chasseur sauvage de Pan, en partie réincarné dans l'ami de Parelius, Munken Vendt. La baronne est la figuration féminine du héros hamsunien typique dont Glahn assume le visage mâle, ou plutôt elle est la face primitive et folle d'une réalité dont Rosa représenterait l'aspect antithétique raisonnable et civilisé, tout comme Parelius équilibre Glahn.
      Pourtant, ce roman apporte un souffle nouveau dans l'oeuvre de Knut Hamsun. En effet, derrière la diversité des personnages, s'impose l'obsédante présence de l'âme véritable de cet univers, l'amour que l'on ne cesse de nous dire cruel. Dans ce monde frustré où le temps paraît ne s'écouler qu'avec peine, la cruauté de l'amour, de tout amour, confère à la vision de l'homme et de son milieu un tragique poignant parce que sans grandiloquence, une intensité à la limite de l'étouffement, tant les coeurs et les rêves se meurtrissent, plus ou moins consciemment, sur un fond de grisaille et d'angoisse qui finit par infuser à cet ouvrage une exceptionnelle et douce-amère gravité.
Car l'amour est cruel.
Régis Boyer