Les Morsures du silence - bonus - Calmann-Lévy

VOTRE CHAPITRE INÉDIT

J’ouvre les yeux après une longue bataille et me réveille l’esprit brouillé, encombré de mots sourds et de ratures, incapable de faire s’emboîter correctement le puzzle de ma vie.

Je ne peux pas dire que j’ai perdu le sommeil depuis le printemps, cela fait des années que je dors mal, mais depuis six mois j’ai la sensation de rester à la surface de la nuit et d’entendre le jour bruisser de rêves. Je ne me souviens jamais des miens, d’ailleurs, sans doute à cause de ces heures décousues, ou peut-être parce que je n’en ai plus.

Cette fois, au lieu de m’épuiser à rassembler les morceaux éparpillés de ma vie pour les forcer à entrer dans la mauvaise case, je décide d’enfiler un manteau et d’aller ruminer en pleine nature.

À peine ai-je mis le nez dehors que l’air glacé me brûle les joues et, durant quelques divines secondes, anesthésie mes pensées. Je ferme les yeux et hume cet air sec qui sent le bois et la neige. Pourvu qu’elle arrive bientôt et habille tout ce qu’octobre a dénudé, détruit et pourri. Pas étonnant que l’automne soit la saison des morts.

Lorsque je rejoins la baie de Rödstuguviken vingt minutes plus tard, à la pointe nord de l’île, la mer noircie d’ombres s’éveille à mes pieds. Elle chuchote, comme si elle n’osait pas lâcher ses vagues tant que le soleil n’a pas lancé le jour et son peuple de bruits.

Je pense aux miens, au vide qu’ils ont laissé, ce vide que le temps ne remplit pas mais creuse au contraire. On m’avait pourtant assuré que le temps est le grand guérisseur, qu’il panse les maux et tisse l’oubli. Chez moi, il ne tisse que rancœur et colère.

Cette nuit, cependant, tout a changé. J’ai pris conscience d’une chose que j’aurais dû comprendre il y a longtemps. Après des heures sans sommeil à me poser les mauvaises questions, à me demander comment calmer la douleur et comment font les autres pour refermer leurs plaies et chasser leurs fantômes – écoutent-ils ces âmes perdues ? Demandent-elles qu’on cesse de les pleurer ou, plutôt, qu’on cure le mal jusqu’à toucher le point d’impact ? –, j’ai compris que j’avais tort depuis le début. Je pensais que la source de mon chagrin était la mort des miens et l’éclatement de ma famille. C’est faux. Complètement faux. La source de ma peine infinie n’est pas ce point final, non. La cause de tout est la personne qui a coupé les mots, la phrase, les chapitres qui auraient dû être écrits.

Je sursaute. La mer vient de gronder en crachant ses vagues contre un collier de rochers. Le soleil s’est enfin levé avec sa timidité automnale, peignant le ciel d’un jaune sale, et je n’ai rien remarqué. Je m’avance sur la petite plage. Les cailloux nappés de givre crissent sous mes bottes. Le vent s’est levé et courbe les joncs qui se dressent près du rivage comme une barbe drue.

Cette nuit, j’ai compris qu’une seule chose pourrait m’apaiser : punir ceux qui m’ont tout pris.

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