Le cortège progressa avec lenteur sous le regard de l’île. Ce long serpent obscur sinua sur la garrigue en silence, écrasé par la chaleur, fourbu par le chemin chaotique. Pourtant, à la sortie de l’église, les questionnements avaient été nombreux. Puis le cercueil était sorti, faisant taire l’incompréhension, les rumeurs, les paroles accusatrices, et la foule s’était mise en branle dans le sillage des porteurs funéraires. Une demi-heure de marche jusqu’au cimetière. Des regards se décrochaient parfois de la terre poussiéreuse pour chercher dans le ciel quelques traces de l’incendie. Il fallait plisser les yeux et défier le soleil pour apercevoir une faible fumée s’élever. Le parfum des plantes aromatiques ne parvenait pas entièrement à recouvrir celle du bois brûlé.
Deux jours auparavant, les pompiers avaient lutté durant des heures. Non pas pour sauver le manoir, il était trop tard, mais pour circonscrire les flammes et éviter qu’elles ne s’étirent jusqu’aux arbres qui ceignaient la propriété. À quatre heures du matin, les poutres de la charpente avaient cédé, le toit s’était effondré en libérant des milliers de lucioles incendiaires. Dans la foule curieuse, les enfants tirés du lit par leurs parents s’étaient émerveillés de ces feux follets qui s’ébrouaient dans la nuit. « Il aurait fallu un Canadair peut-être, regretta le chef des pompiers, mais avec ces nuages et ce vent… » Alors ordre avait été donné de se concentrer sur l’île et d’abandonner ce qu’il restait de la bâtisse.
Le cercueil passa les grilles du cimetière. Les porteurs, le visage luisant de sueur, traversèrent l’allée principale en ignorant les lézards qui s’enfuyaient à leur passage. Arrivés face à la fosse, ils posèrent en une synchronisation muette le cercueil.
Quelques chuuuuut réprobateurs firent taire les impies tandis que le prêtre débutait son adieu au défunt. Le cercueil fut de nouveau soulevé. Les habitants de Porquerolles se signèrent en l’observant glisser dans sa tombe puis, tour à tour, vinrent jeter une poignée de terre sèche, déjà tiède en cette fin de matinée.
« Une mère entourée de ses deux filles, souffla une femme en ouvrant sa main au-dessus du vide. Mais seulement deux corps. C’est p’têt pour ça que l’île n’est pas contente… ça et le manoir… » Elle se détourna ensuite des trois sépultures, dont l’une, à peine perceptible sous les ronces et la poussière, à la fois ridicule et touchante, fut découverte pour la première fois par beaucoup d’habitants. Le cortège se disloqua à la sortie du cimetière. Certains hâtèrent le pas pour retrouver l’ombre salvatrice des cafés de la grande place, d’autres rentrèrent chez eux tout en priant l’île de les tenir éloignés le plus longtemps possible de l’endroit qu’ils venaient de quitter.
Quelques jours plus tard, toute trace de fumée disparut des ruines du manoir. Le temps revint au beau, les nuages s’évanouirent et les nouveaux touristes inaugurèrent la nouvelle saison. Porquerolles somnola le temps de retrouver sa quiétude. Et les ronces continuèrent de pousser. Et de protéger le passé.
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