Comment deux romanciers qui ont l’habitude de travailler dans ce que l’on appelle la « solitude » de l’écrivain, plongés dans leur univers créatif le plus intime, arrivent-ils à unir leurs forces pour écrire à quatre mains ? De nombreux lecteurs se posent cette question. Tant d’un point de vue purement théorique qu’artistique.

Comment concevoir une histoire à deux ? Comment se répartir les rôles ? Comment travailler ensemble ? Comment donner une cohérence au roman ?

Jacques Expert et Philippe Balland répondent à vos questions.

« Il faut une grande complicité, une confiance inébranlable en l’autre, tout en respectant ses différences. »

Tout d’abord et avant tout, pour écrire à deux, il faut une grande complicité, une confiance inébranlable en l’autre, tout en respectant ses différences. Ce qui est notre cas. Depuis quarante ans, notre amitié repose sur ces principes d’écoute et de partage. Tout en menant nos carrières individuelles, nous avons décidé il y a cinq ans de nous lancer ensemble dans l’écriture de fictions et de séries pour la télévision. Et nous avons découvert le plaisir de l’écriture à quatre mains. Au point de nous risquer dans l’exercice plus complexe du roman. Ainsi est né « Je suis Amélie Lenglet ».

« Dans un premier temps, nous avons écrit un plan détaillé. »

L’amitié et la complicité sont importants, bien sûr, mais pas suffisants. Voici comment nous avons travaillé. Dans un premier temps, nous avons écrit un plan détaillé. Ce séquençage précis qui a nécessité plusieurs semaines de travail en commun était indispensable afin d’imaginer et d’organiser notre roman dans les moindres détails. Ainsi, chacun, de son côté, a respecté la trame définie ensemble. Si au fil de l’écriture, une nouvelle piste, voire un personnage supplémentaire, était envisagé par l’un, nous en parlions, et reprenions alors le plan du récit afin de respecter sa cohérence. De la conception à la rédaction du livre, la confrontation de nos deux points de vue, la combinaison des idées, la surenchère des réflexions ont grandement enrichi notre histoire, offrant de multiples rebondissements et un dénouement que nous n’aurions imaginé seuls.

« Nous avons décidé de nous glisser individuellement dans la peau de chacune. Amélie 1 pour l’un. Amélie 2 pour l’autre. »

L’autre atout d’écrire à quatre mains, nous l’avons mis au service de la spécificité de notre histoire avec deux héroïnes à part entière. Nous avons décidé de nous glisser individuellement dans la peau de chacune. Amélie 1 pour l’un. Amélie 2 pour l’autre. En résulte deux caractères singuliers, imaginés et créés par chaque co-auteur en totale liberté. Ainsi sont nés deux héroïnes aux trajectoires, comportements et motivations opposés malgré leur même quête d’identité. Cette approche nous a permis de donner vie à deux jeunes filles si différentes, si déroutantes, qu’elles s’avèrent être un mystère pour les enquêteurs, une torture pour les parents, un casse-tête pour les lecteurs. Et puis, le moment de leur face-à-face venu, à l’image de nos héroïnes, nous, en tant qu’auteurs, nous avons quasiment découvert l’Autre Amélie, sa personnalité. Cela a provoqué un choc d’écriture pour toute la partie finale, qui fait que leur duel n’en est que plus intense.

Pour les autres protagonistes du roman, nous les avons créés à deux, les avons fait évoluer au fil des pages à quatre mains, et nous pensons ainsi que nous les avons rendus plus complexes et multidimensionnels grâce à ce double regard.

À partir du moment où nous avions décidé de nous approprier chacun une Amélie, la méthode d’écriture s’est imposée à nous. L’un a écrit la première partie consacrée à Amélie 1 et l’autre la deuxième partie où surgit Amélie 2. La troisième et dernière partie a été écrite ensemble avec un partage de chapitres. Cependant, durant ces presque deux années d’écriture, l’échange entre nous a été permanent comme un dialogue créatif ininterrompu autour de l’Affaire Amélie Lenglet.

Quand vous écrivez à quatre mains, vous avez le sentiment réconfortant et stimulant d’avoir un lecteur à l’exigence bienveillante au-dessus de votre épaule en permanence.

« D’abord, nous avons identifié nos forces respectives. Qui excelle dans la description des scènes, dans la rédaction des dialogues, dans la mise en abime des personnages. »

Ultime question que les lecteurs nous posent : Comment faites-vous pour le style d’écriture ?

Évidemment, nous n’avons pas le même style. Même si nous avons en commun le goût pour une écriture vive, incisive. D’abord, nous avons identifié nos forces respectives. Qui excelle dans la description des scènes, dans la rédaction des dialogues, dans la mise en abime des personnages. Et nous nous sommes appuyés sur les qualités de l’autre en faisant fi du moindre ego « littéraire ». C’était l’une des clés de la réussite de ce roman. Enfin et surtout, au lieu de lutter à tout prix contre les différences de style, de les lisser au point de les neutraliser, nous avons voulu profiter de la richesse de nos styles respectifs entremêlés dans une harmonisation cohérente. Car nous sommes convaincus que deux styles, deux tons, soigneusement agrégés, offrent une dynamique de lecture. Et du plaisir aussi.

« Nous avons hâte de nous y remettre. »

Comme celui, vous l’aurez compris, que nous avons eu à écrire ce roman à quatre mains.

Nous avons hâte de nous y remettre. A bientôt.

Jacques EXPERT et Philippe BALLAND