La Protégée - bonus - Calmann-Lévy

VOTRE CHAPITRE INÉDIT

Sonneries et claquements de verrous, éclats de voix et roulis de chariots poussés le long des couloirs. Cette petite musique ne s’arrête jamais. Elle l’agaçait, au début. Plus maintenant. Il s’y est acclimaté, tout comme à l’atroce couleur des murs, aux fenêtres closes et aux tristes repas servis dans une promiscuité malsaine.

Ce qui ne signifie pas qu’on l’ait maté. Et encore moins brisé.

Le signal qu’il attendait depuis un moment, allongé sur son lit, les mains croisées derrière sa nuque, retentit enfin. Luca se rassied d’un mouvement souple et enfile ses chaussures. Cuir italien, fabrication artisanale. Du sur-mesure. Jamais il ne s’abaissera à porter des claquettes en plastique. Voir certains de ses nouveaux – et bien involontaires – voisins traîner des pieds dans ces choses infâmes lui donne des envies de meurtre.

Une fois debout, Luca défroisse sa chemise pourtant impeccable, tire sur les manchettes. Un sourire apparaît sur ses lèvres avant même que le guichet de la porte ne s’ouvre. Il s’accentue en découvrant le visage espéré. Les plannings du personnel ne sont que très rarement modifiés à la dernière minute, mais c’est déjà arrivé. Si cela avait été le cas, la frustration aurait été difficile à gérer. Très difficile.

— Bonjour, monsieur. Bien dormi ?

Le gardien s’écarte le temps de cueillir le bon plateau dans son chariot, puis réapparaît dans l’ouverture. Il a passé un pull par-dessus son polo bleu marine. Il doit faire frisquet, ce matin.

De l’autre côté de la porte, Luca réceptionne le plateau. Un gobelet de café, un verre d’eau flanqué de deux cachets dans leur blister. Ils termineront leur route dans la cuvette des W.-C., comme leurs petits camarades. Il dépose le tout sur la table qui lui fait office de bureau, puis tend de nouveau la main pour prendre le mobile que le gardien vient de sortir de sa poche. Un vieux modèle à clapet, de ceux qui ne proposent qu’une fonction téléphone. Luca n’a besoin de rien d’autre.

— Comme d’habitude ?

— Tout à fait.

— Merci, Philippe. Et dites-moi, comment s’est passé ce week-end ?

L’homme jette un coup d’œil circulaire et retrousse ses manches sur ses avant-bras velus avant de répondre, à la fois gêné et enthousiaste :

— À merveille. Nathalie était aux anges.

— Voilà qui me réjouit. Il ne faut jamais laisser s’éteindre la flamme dans un couple, jamais.

Il lève le téléphone devant son visage comme pour porter un toast, puis se détourne. Le gardien en profite pour refermer le guichet en silence. Un timide, ce Philippe. Luca n’a eu aucun mal à le jauger. Il a toujours eu cette faculté. Un simple regard, et il devine ce que la personne en face de lui cache au reste du monde. À quoi elle aspire, dans son for intérieur. Philippe ne nourrit pas d’ambition particulière. Un travail honnête, une femme aimante, des gosses, un chien, des vacances à la plage en août. Une vie modeste. Mais qui se laisse volontiers améliorer par quelques broutilles, ici et là. Il ne s’agit même pas vraiment de corruption. Juste d’un échange de bons procédés. Du gagnant-gagnant.

Tout en sirotant son café, il pense à son dernier visiteur. Le commandant Theven n’aurait pas accepté ce type d’accords, il en est persuadé. Bien égal. Luca a très vite saisi ce qui comptait pour lui. Pour une fois, c’est son regard à lui qui l’a renseigné. Celui qui a parcouru son corps tandis qu’il exhibait sa blessure de guerre. Ce n’était pas le genre de regard qu’on lance à un autre homme parce qu’on en croise souvent aux vestiaires. Non, à sa manière de le détailler, Luca a compris qu’il avait plutôt l’habitude de les caresser. Qu’il se gardait bien de le crier sur les toits. Et que celui qui vibrait sous ses mains comptait à ses yeux. Énormément.

La suite n’avait guère été compliquée. Quelques échanges, quelques ordres donnés par des moyens détournés. Il était en possession du numéro de l’amant de Theven bien avant le moment M. De ça, et des autres éléments indispensables à son intrigue, créée dans l’ombre et à l’insu des principaux intéressés. Une pièce au scénario parfait, rythmé et ciselé jusqu’au moindre détail. Dommage qu’il n’ait pas pu se tenir aux premières loges pour assister à la seule et unique représentation.

Sur la table, le téléphone se met à ronronner. Pile à l’heure. Luca déplie l’appareil, le porte à son oreille.

— Alors ? dit-il sans préambule.

— Jasmine Daux est morte, monsieur di Ferro.

Une inspiration saccadée, la tête rejetée en arrière. Son poing se crispe sur le gobelet, il le compresse en un amas informe duquel s’échappent deux ou trois malheureuses gouttes. Luca laisse passer la vague, puis rouvre les yeux.

— Comment ?

— Abattue par le commandant Theven. Une balle dans le dos.

Un nouveau frisson se propage dans tout son corps. Son interlocuteur se méprend sur son silence prolongé et tente de le combler par un :

— Mes… Mes condoléances, monsieur.

— Dis-moi plutôt ce qui est arrivé ensuite.

— Les conclusions des gendarmes sont floues, reprend aussitôt l’autre sur un ton factuel, mais il semblerait que le flic et Mlle Deligny se soient entretués.

Cette fois, l’excitation est trop grande pour qu’il reste assis. Sa chaise valdingue en arrière lorsqu’il se redresse et rugit en direction de la fenêtre et de son petit coin de ciel d’un gris morne. L’impression que son corps va se fragmenter, que chacune de ses fibres pulse avec rage et délice. Il s’écoule plus d’une minute avant qu’il ne revienne à sa discussion.

— Merci pour ces informations. Tu peux mettre la suite en route.

Il coupe la communication sans attendre d’assentiment. Il sait de toute manière qu’il sera obéi.

Encore un instant pour se calmer, puis il retourne s’installer à son bureau pour se recueillir, la tête plongée dans ses mains jointes. Jasmine, sa belle et sauvage Jasmine, n’est plus. Ariane, si douce dans sa folie, est partie également.

Tout s’est déroulé comme prévu.

Quelques profondes respirations. Avec un sourire, il ouvre le tiroir du bas, parcourt du bout des doigts plusieurs dossiers classés côte à côte, en choisit un. Il en extrait une photo et une enveloppe bleu clair. Un numéro est inscrit à l’arrière. Et un nom. Iris. Plus que son visage, ses cheveux blonds et la pose suggestive, c’est ce prénom qui l’a attiré. Une autre fleur à cueillir, après Jasmine.

Elle décroche dès la première sonnerie, comme si elle l’attendait.

— Bonjour, mon amour. J’espère que je ne te réveille pas. J’ai pensé à toi toute la nuit…

Oui, elle l’attendait.

Retrouvez tous les thrillers de Marlène Charine

  • FÉLICITATIONS, VOUS AVEZ ATTEINT LA DEUXIÈME ÉTAPE DE CETTE TOUTE NOUVELLE AVENTURE.
    AFIN D’EN SAVOIR UN PEU PLUS SUR VOUS ET POUR DÉTERMINER SI VOTRE PROFIL NOUS CORRESPOND RÉELLEMENT, MERCI DE BIEN VOULOIR REMPLIR CE QUESTIONNAIRE

  • AAAA - MM - JJ

En vous inscrivant, vous consentez à ce que Calmann-Lévy  traite vos données à caractère personnel en vue de gérer votre participation au Jeu Blue Sky. Vos données sont destinées à Calmann-Lévy, aux partenaires et/ou prestataires techniques assurant la mise à disposition des dotations et aux éventuels partenaires autorisés et conservées en fonction de leur nature pour une durée conforme aux exigences légales.

Vous pouvez exercer vos droits d’accès, de rectification, d’opposition, de portabilité, définir des directives post-mortem par mail à commercial@calmann-levy.fr et vous adresser à l’autorité de contrôle. Pour en savoir plus, consulter le Règlement du jeu-concours.