La Lisière - bonus2 - Calmann-Lévy

VOTRE CHAPITRE INÉDIT
LE PERSONNAGE COUPÉ DE LA VERSION FINALE

Elle avait essayé de la joindre une bonne dizaine de fois avant qu’elle ne se décide à décrocher son téléphone sans prononcer le moindre mot. Malgré toutes les questions que lui avait posées Maëlys, aucun son n’était sorti de sa bouche hormis une sorte de râle et quelques supplications impossibles à comprendre mélangées à une respiration pouvant faire croire qu’elle était en train d’agoniser. Qu’est-ce qui se passe maman ? Réponds ! Elle lui avait raccroché au nez comme elle le faisait toujours. Maëlys frappa son volant de rage, en s’engageant sur la route départementale 100 pour contourner Quimper en direction de Penmarc’h. Ce foutu trajet allait lui prendre plus de deux heures aller-retour alors qu’elle était en pleine enquête. Pourquoi ? Simplement parce que « la vieille » avait décidé de lui faire croire qu’elle allait casser sa pipe, histoire de vérifier si sa fille viendrait rapidement à son chevet. Combien de fois lui avait-elle déjà joué ce sale tour ? Des dizaines depuis son installation dans la région. D’aussi loin que Maëlys s’en souvenait, sa mère obtenait tout ce qu’elle désirait en usant de subterfuges de ce genre. C’est ça, qui avait tué son père. Son cœur avait fini par lâcher, fatigué par le chantage affectif, la culpabilité, les reproches et tout ce venin qu’elle crachait sur les gens, particulièrement sa famille. Il n’y a qu’à la caserne pendant ses années d’instruction que Maëlys s’était sentie soulagée. Le poids de cette relation toxique était resté à la porte de son univers militaire et l’avait sans aucun doute motivée à ne plus en sortir. Mais on ne pouvait pas faire disparaître ses tourments, il fallait les affronter, et en revenant dans le Finistère, l’emprise de sa mère avait recommencé de plus belle.

Une fois Pont-l’Abbé et Plomeur dépassés, elle continua tout droit vers l’océan, s’enfonçant dans le bras de cette Bretagne qu’elle aimait tant. Le quartier de Kérity s’étendait face à la mer avec en pointe la figure imposante du phare d’Eckmül. Elle se gara dans la rue de Kerandraon et se dirigea vers la vieille maison en pierre grise et ardoise noire dont la seule vue lui donnait la nausée. Un muret en béton fissuré courait jusqu’au portail à côté duquel était installé un interphone. Maëlys sonna plusieurs fois sans obtenir de réponses, si bien qu’elle se décida à enjamber la clôture pour se retrouver les pieds dans la boue d’un jardin au milieu duquel un antique cerisier pourrissait. Cet arbre avait toujours été là d’aussi loin que remonte sa mémoire. Petite, elle s’abritait sous ses branches et son père la soulevait pour qu’elle ramasse sa récolte de fruits, des bigarreaux bien fermes à la chair gorgée de jus sucré. Le visage de cet homme à la présence rassurante devint soudainement plus vivace. Il se tenait juste en face d’elle, dans son costume en laine. Il lui expliquait comment cette espèce pourrait résister aux rigueurs de l’hiver, et qu’il serait toujours là pour nourrir la famille à condition qu’on s’occupe de lui. Aujourd’hui l’arbre était mort. Ses branches ressemblaient à des moignons et ses racines sortaient de terre comme les griffes d’une sorcière. La vieille l’avait laissé crever, comme tout le reste. Elle grimpa les quelques marches menant au perron et fouilla dans ses poches pour retrouver les clés. Pousser la porte lui donna l’impression de revenir dans le passé. Elle respira un grand bol d’air frais avant d’entrer dans le couloir où chaque meuble, chaque objet, chaque portrait sur les murs n’avait pas bougé depuis sa naissance. Ce n’était qu’une petite maison de pêcheur, pas plus de quelques pièces, dont celle qui lui servait autrefois de chambre sous les toits, et pourtant il s’en dégageait une ambiance sépulcrale. Le temps n’avait pas d’emprise ici et l’atmosphère semblait chargée d’une lourdeur inhabituelle. Maëlys avança d’un pas hésitant, se dirigeant vers le salon dont une fenêtre donnait sur l’océan au loin. Elle savait que la vieille se trouvait là, ses yeux noirs scrutant les nuages comme si elle les comptait. Les autres rideaux étaient tirés, si bien que la pièce se trouvait plongée dans la pénombre. Les meubles, trop nombreux, encombraient l’espace autour d’une large cheminée que Maëlys fixa du regard. Elle avait huit ans, elle observait les flammes avec la fascination des enfants. Son esprit divaguait dans le ballet éternel du foyer. Elle s’imaginait partir pour des destinations exotiques et lointaines. Embarquer pour des pays accablés par la chaleur et le vent. D’immenses déserts de sable rouge d’où émergeaient les ruines de civilisations antiques. Plus tard, elle voyagerait autour du monde, elle serait exploratrice ou archéologue. Tout cela était contenu dans le feu qui crépitait au fond de l’âtre. Tous ses rêves d’enfants étaient désormais éteints. Leur chaleur étouffante avait disparu pour ne laisser que l’hostile froideur du quotidien. Il y eut un craquement sur le parquet et Maëlys tourna la tête vers la fenêtre que traversait un rayon de lumière blanche. Elle se tenait là, le corps plié dans sa chaise roulante, les yeux rivés vers l’extérieur. Elle ne prit même pas la peine de la regarder.

— Tu es venue finalement. Tu t’es souvenue de moi.

— Je ne vois pas comment je pourrais t’oublier maman.

Les hostilités étaient lancées.

— Alors, explique-moi ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’il y a de si urgent pour que je sois obligée de quitter la brigade en catastrophe ?

— Personne ne t’a rien demandé, dit-elle en tournant sa tête vers Maëlys.

Elle avait un visage ovale dont les traits restaient gracieux malgré les années. Ses cheveux blancs étaient noués en un chignon strict qu’elle portait au-dessus du crâne. Son front plissé de rides profondes d’où émergeaient d’épais sourcils lui donnait une gravité sévère.

Ses yeux noirs luisaient d’une étincelle qu’elle avait toujours connue. Sa mère était en guerre contre la terre entière et certainement contre elle-même. Le feu brûlant de la colère ne s’éteindrait qu’à sa mort. Pourquoi ? Maëlys ne l’avait jamais compris.

— D’accord maman… mais maintenant je suis là, donc… qu’est-ce qui ne va pas ? Tu as besoin de moi ?

— Le chat… c’est ça qui ne va pas.

— Le chat ? Quel chat ?

— Le chat des voisins. Il passe son temps à venir dans le jardin, et il miaule à la porte. Il me dérange pendant ma sieste.

— Mais il a toujours été là ce chat ! Tu m’as même demandé de lui mettre du lait la semaine dernière. C’est pour ça qu’il vient.

— Ça m’étonnerait, je déteste ces bestioles. Tu sais ce qu’on dit des chats… ils portent la poisse.

Inutile de la raisonner, Maëlys savait parfaitement que sa mauvaise foi n’avait pas de limites. Le plus simple était de ne rien contester, de la laisser dicter ses exigences, comme toujours.

— OK, maman, donc tu veux que je fasse quoi ? Que j’aille leur parler ?

— Non, c’est plus la peine.

— Comment ça, c’est plus la peine ?

Elle hocha la tête vers le couloir et fit pivoter les roues de sa chaise pour se retourner. Elle avait perdu l’usage de ses jambes à la suite d’une chute dans l’escalier de la maison. Maëlys n’avait jamais compris ce qui s’était réellement passé et sa mère n’évoquait pas ce douloureux souvenir. Encore moins depuis la mort de son père.

— Pousse-moi.

Maëlys s’exécuta et glissa le fauteuil sur le parquet du salon avant de rejoindre la porte de la cuisine laissée entrouverte. La vieille fit un signe vers le plan de travail où se trouvait un sac en plastique bleu. Maëlys se rapprocha et jeta un regard à l’intérieur. Elle aperçut la petite tête du chat, son museau perçant sa fourrure noire, d’immenses et gracieux cils encadrant des yeux d’un blanc vitreux. Une odeur de charogne la prit à la gorge.

— C’est pas possible maman, qu’est-ce que tu as fait ?!?

— Je m’en suis occupée, c’est tout.

— Mais tu ne peux pas faire ça ! T’as pas le droit !

— Qu’est-ce que t’es sensible ma pauvre fille. Comme ton père.

Maëlys la fixa droit dans les yeux. L’espace d’une seconde, elle aurait voulu que ce soit elle qui se trouve dans ce sac. Que ses yeux de vautour soient enfin éteints. Qu’elle crève.

— Débarrasse-moi de cette saloperie. C’est pour ça que je t’ai appelée.

Maëlys ne dit pas un mot et attrapa le sac. Elle regagna la rue sans parler. La vieille avait une fois de plus brisé tous ses espoirs. Petite fille au coin du feu, elle n’avait qu’un seul rêve : que sa mère l’aime. Aujourd’hui ce rêve n’existait plus. Elle déposa le linceul de cette pauvre bête dans une poubelle avant de rentrer dans sa voiture et de reprendre la route. Son téléphone portable commença à vibrer, lui indiquant qu’elle avait un message en absence. La voix enthousiaste de Broussard lui annonça que le fichier FNAEG avait matché sur l’ADN inconnu prélevé dans le coffre des Legoff.

Il s’agissait d’un gars du coin, fiché pour utilisation de stupéfiants. Un certain Ronan Morel.

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  • FÉLICITATIONS, VOUS AVEZ ATTEINT LA DEUXIÈME ÉTAPE DE CETTE TOUTE NOUVELLE AVENTURE.
    AFIN D’EN SAVOIR UN PEU PLUS SUR VOUS ET POUR DÉTERMINER SI VOTRE PROFIL NOUS CORRESPOND RÉELLEMENT, MERCI DE BIEN VOULOIR REMPLIR CE QUESTIONNAIRE

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